De nouvelles preuves tirées d’un rapport des Nations Unies et d’un arbitrage d’investisseurs très médiatisé mettent en lumière le rôle du Rwanda dans des réseaux de contrebande sophistiqués qui extraient l’or et le coltan des zones de conflit congolaises et introduisent illicitement ces minerais d’importance stratégique dans la chaîne d’approvisionnement mondiale de produits de consommation tels que les téléphones portables, les ordinateurs et les bijoux.
Les experts se disent être au courant de la contrebande depuis de nombreuses années, mais de nouveaux détails fournis par des chercheurs de l’ONU et des documents déposés dans le cadre de l’affaire ont révélé comment ces réseaux prospèrent au Rwanda et en République démocratique du Congo (RDC), alors même que les gouvernements prétendent nettoyer le commerce souterrain.
Ce rapport des Nations unies s’appuie sur des photos, des entretiens avec des contrebandiers et d’autres sources pour documenter le trafic de minerais traversant la frontière vers le Rwanda, où ils sont exportés dans les chaînes d’approvisionnement mondiales. Le rapport a étayé aussi des preuves fournies par un investisseur minier américain, Bay View Group, dans le cadre d’un arbitrage au Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements, une institution de la Banque mondiale.
Bay View, l’un des plus gros investisseurs dans le secteur minier rwandais de 2006 à 2016, réclame aujourd’hui 95 millions de dollars de dommages et intérêts au gouvernement rwandais, alléguant que le régime a saisi les actifs de la société parce qu’elle refusait de participer à la « contrebande illégale rampante » de coltan et d’autres minéraux congolais vers le Rwanda. L’une des concessions de la société se trouvait près de la frontière congolaise, ce qui en aurait fait « un point de passage idéal pour la contrebande de minéraux », selon Bay View.
La société estime que la valeur de la production réelle des mines rwandaises n’est que d’environ 20 millions de dollars par an – une petite fraction des 412 millions de dollars que le gouvernement a déclaré dans ses chiffres d’exportation.
Par ailleurs, Bay View fait remarquer que le Rwanda ne divulgue que la quantité de minéraux que le pays exporte, et non la quantité qu’il produit. Cela permet au Rwanda de prétendre que les minéraux de contrebande de la RDC proviennent en fait du Rwanda, ce qui renforce ses statistiques économiques, a déclaré l’entreprise aux enquêteurs.
Pour rappel, le Rwanda et la RDC ont signé en juin dernier d’important accord d’exploitation des minerais de l’Est de la RDC. Pour des nombreux chercheurs, ce nouveau partenariat permettrait au Président Kagame de passer par la grande porte pour tirer d’avantage profit des minerais du Congo.
Valéry Bakutweni