Nous allons très rapidement réfléchir à haute voix sur le prélèvement RAM en RDC pour examiner leur caractère illégitime. Le RAM, c’est le Registre d’appareils mobiles en RDC. La République Démocratique du Congo est un pays qui a institué tout récemment un Registre pour répertorier tous les téléphones mobiles qui y circulent. En contrepartie de cet enregistrement des appareils mobiles, des prélèvements obligatoires des crédits de communication sont effectués dans les comptes des utilisateurs des téléphones mobiles, abonnés des sociétés des télécommunications. Pour être précis, 7 USD/l’an sont prélevés pour les téléphones 3G et 4G. Ces prélèvements RAM nous a-t-on dit, ne sont ni des impôts, ni des taxes.
Ceci est manifestement vrai parce que l’impôt et la taxe ont ceci de commun : leur caractère légal. Les deux sont institués par une loi. En plus, les deux revêtent un caractère obligatoire à la seule différence que pour la taxe, il existe une contrepartie, si bien que le caractère obligatoire de la taxe ne concerne que ceux qui recourent à ce service-là. C’est le cas du demandeur d’un passeport, il se trouve obligé de payer la taxe y afférente à raison du service sollicité. Nous le disons de la manière la plus simpliste pour permettre à tout citoyen congolais qui sait lire de nous comprendre. Nous ne faisons pas de démonstration académique.
Revenons à notre RAM : « une simple prestation soi-disant de l’ARPT » à laquelle on confère un caractère obligatoire. Examinons cela de plus près. Le 20 février 2012, un décret portant n°012/15 avait été signé par un Premier Ministre pour permettre à l’ARPTC (Autorité de Régulation de Postes et Télécommunications) de faire rémunérer ses prestations auprès des opérateurs. Les revenus issus de ces prestations ne sont pas destinés au Trésor public, mais au fonctionnement de l’ARPTC. Observez bien que le décret du 20 février 2012 s’inscrit uniquement dans un rapport entre opérateurs et Régulateur. Voici les actes listés par ce décret : 1) Règlement/Arbitrage des litiges ; 2/ Traitement des brouillages ; 3/ Examen des catalogues et des contrats d’interconnexion ; 4/ Gestion des activités d’interconnexion ; 4/Gestion des services des réseaux de données. Tous ces actes énumérés, s’inscrivent dans un rapport contractuel entre l’ARPTC et les opérateurs. Les opérateurs eux-mêmes font la demande de la prestation à l’ARPTC. C’est donc fort de l’expertise que l’ARPTC leur apporte, qu’elle facture en revanche son service.
D’ailleurs, dans la pratique, l’ARPTC envoie d’abord sa facture pour paiement avant de prester. Si la facture n’est pas honorée, l’ARPTC ne preste pas. C’est ça la nature contractuelle d’une prestation. Cependant en ce qui concerne le RAM, un décret n°20/005 du 09 mars 2020 a été pris par le Premier Ministre ILUNGA ILUNKAMBA pour modifier et compléter celui de 2012. Curieusement, le nouveau décret pris pour couvrir le vide et le caractère illégal des prélèvements des crédits de communication, s’écarte totalement de l’esprit du décret de 2012. On y retrouve un nouveau rapport établi entre le Régulateur et les utilisateurs des téléphones mobiles. Alors que la loi cadre Télécom du 16 octobre 2002, telle qu’abrogée par la loi n°20/17 du 25 novembre 2020 relative aux télécommunications et aux technologies de l’information et de la communication n’établit la relation entre les consommateurs des services de télécommunication avec l’ARPTC que dans le cadre des réclamations et plaintes contre les opérateurs. C’est le cas des articles 97, point 9, 10, 11 et 98 point 3, les seuls qui établissent un rapport direct entre le Régulateur et les abonnés.
Et dans ce cadre-là, l’ARPTC ne facture pas les abonnés qui lui adressent leurs plaintes et réclamations contre les opérateurs. Mais le décret de 2020 vient établir une relation d’une autre nature dans les rapports entre l’ARPTC et les abonnés, utilisateurs des téléphones portables.
Ce décret-là de 2020, pèche en conférant au RAM le caractère de « prestation en faveur de l’ARPTC ». S’il s’agit réellement d’une prestation, où réside le lien contractuel entre les utilisateurs des téléphones et l’ARPTC ? Quel est cet utilisateur qui a demandé à l’ARPTC la certification de son téléphone mobile ou son enregistrement dans leur fameux Registre ? N’oublions pas que la prestation ne revêt jamais un caractère unilatéral et obligatoire. Mais que le caractère obligatoire est plutôt de la nature des impôts et des taxes.
Nous nous trouvons donc là en face d’une prestation sui-generis à toutes les allures d’une imposition. Observez que pour les impositions taxes et impôts, l’Etat confère aux organes taxateurs et recouvreurs ce qu’on appelle « les prérogatives exorbitantes de droit commun ». Ce qui veut dire que la DGRAD et la DGI n’ont pas besoin de titre exécutoire émanant d’un juge pour aller recouvrer de manière forcée. Ils instruisent directement les tiers détenteurs à travers leurs ATD pour prélever dans les comptes des redevables, les sommes leur dues. Et les tiers détenteurs n’ont d’autre choix que de se plier sinon, ils seront eux-mêmes tenus en lieu et place de ces débiteurs. Or nous observons le même schéma avec le RAM qu’il me semble, n’est qu’une prestation de l’ARPTC. Mais observez la chose la plus étonnante. L’ARPTC est-elle un organe taxateur ou recouvreur ? L’ARPTC jouit-elle des prérogatives exorbitantes de droit commun pour que, sans titre exécutoire, elle puisse ordonner aux opérateurs de téléphonie de prélever dans les comptes de leurs abonnés des crédits de communication en rémunération de sa soi-disant prestation ?
Est-ce de manière volontaire que les abonnés cèdent leurs crédits de communication en exécution d’un contrat de prestation avec l’ARPTC ? Et si les abonnés ont refusé une exécution volontaire, leur prestataire sans titre exécutoire peut instruire une exécution forcée auprès des opérateurs en défaveur de leurs abonnés respectifs ? Y a-t-il une loi qui donne de telles prérogatives exorbitantes à l’ARPT ? En tout cas, l’ARPTC existe en vertu d’une loi, c’est la loi n° 014-002 du 16 octobre 2002. Cette loi ne lui donne pas de telles prérogatives. De son article 1 à l’article 31, une telle prérogative n’est pas libellée. Un ordre quelconque qui émanerait de l’ARPTC dans ce sens adressé aux opérateurs, serait un ordre manifestement illégal. Maintenant la question est : « Doit-on obéir à un ordre manifestement illégal ? » Il est un principe général de droit unanimement admis que « Nul n’est tenu d’exécuter un ordre manifestement illégal ».
Les sociétés de télécommunication et personne d’ailleurs n’est obligée d’exécuter un ordre manifestement illégal. Et la question est : quelle est la responsabilité de ceux qui obéissent à un ordre manifestement illégal, causant des préjudices aux gens ? Il est important de rappeler encore à ce titre avant de clore que même un ministre, n’a aucun pouvoir d’ordonner des prélèvements dans les comptes des gens, sans titre exécutoire. La propriété privée est sacrée tel qu’il ressort de l’article 34 de la constitution. Le dernier alinéa de cet article 34 dispose : « Nul ne peut être saisi en ses biens qu’en vertu d’une décision prise par une autorité judiciaire compétente. » Les crédits de communication sont des biens de valeur, des propriétés des gens (éléments de leur patrimoine) au même titre que la monnaie électronique logée dans leurs portefeuilles mobiles. L’article 56 de la Constitution dispose : « tout acte, qui a pour conséquence de priver la nation, les personnes physiques ou morales de tout ou partie de leurs propres moyens d’existence tirés de leurs ressources (…) est érigé en infraction de pillage par la loi. » Et l’article 57 de la même Constitution : « Ces actes, s’ils sont le fait d’une personne investie d’autorité publique, sont punis comme infraction de haute trahison. » J’ai juste réfléchi à haute voix en tant que juriste et chercheur et reste ouvert à tout son de cloche contraire.
Jean-Pie BAKOLE